Ce dimanche 15 janvier, malgré un soleil radieux, environ 1300 personnes ont assisté (ou tenté d’assister, car on a dû limiter les entrées) à la « journée des alternatives », organisée par Attac en partenariat avec Médiapart, sur le thème « Leur dette, notre démocratie ».
Bref résumé des débats, pour donner envie de regarder les vidéos qui seront bientôt en ligne sur le site d’Attac.
Une salle bondée de 9h30 à 18h sans interruption, des participants des mouvements d’indignés provenant de plusieurs parties du monde, des débats passionnants et passionnés, animés par des journalistes décapants, mais aussi des intermèdes culturels hilarants : une conférence gesticulée d’Etienne Leconte sur la dette, des clips satiriques de Rafaele Arditi, et le Tribunal populaire des banques monté par la Compagnie Naje et Attac… tout a contribué au succès de cette initiative. En introduction Aurélie Trouvé a ironiquement remercié Standard & Poors d’avoir donné de la publicité à la conférence en dégradant la note de la France, et souligné que cette conférence internationale était une première en France ; Edwy Plenel s’est félicité de la collaboration étroite et prometteuse entre Attac et Médiapart.
La table-ronde du matin, animée par Martine Orange de Médiapart, rassemblait les partenaires de l’Audit citoyen de la dette publique en France, ainsi que deux participants étrangers. Raquel Freire, du Mouvement du 27 mars au Portugal, a indiqué comment, après la gigantesque manifestation de précaires convoquée via Facebook le 27 mars 2011 contre l’austérité, les mouvements sociaux portugais avaient abouti à la création d’un collectif pour un audit citoyen de la dette publique portugaise qui a tenu sa conférence constitutive le 19 décembre dernier. Chafik Ben Rouine, de l’ACET (Auditons les Créances Européennes envers la Tunisie), a montré combien les dettes du régime Ben Ali pesaient aujourd’hui sur le budget de la Tunisie nouvelle, et prôné la coopération des mouvements sociaux de part et d’autre de la Méditerranée. Eric Toussaint, du CADTM, a confirmé l’importance de construire un mouvement international de contestation de la dette et de l’austérité, tandis que Annick Coupé (Solidaires) insistait sur l’urgence, pour les organisations syndicales, de soulever la chape de la résignation face au rouleau compresseur de l’austérité. Marie-Laurence Bertrand (CGT) soulignait la nécessité d’ancrer l’audit dans l’expertise des citoyens et des salariés afin de créer une véritable dynamique de contestation du discours fataliste et culpabilisateur sur la dette.
Ces interventions des acteurs de l’Audit illustraient les riches analyses introductives présentées par Dominique Plihon sur l’origine véritable de la dette publique (défiscalisation des riches et austérité) et Geneviève Azam sur le dévoiement de la notion de dette ramenée à son seul aspect financier pour mieux nier la dette sociale, non contractuelle, qui rend les individus capables de faire société.
La première table-ronde de l’après-midi, animée par Ludovic Lamant de Médiapart, était consacrée aux mouvements sociaux émergents. Isham Christie, d’Occupy Wall Street, montrait comment ce mouvement des assemblées populaires avait pu en quelques mois transformer profondément le débat politique aux USA, pesant y compris sur la campagne électorale en cours. Patricia Susial, d’Attac Espagne, rappelait comment les agissements d’élites « indignes » avaient transformé des milliers d’électeurs « résignés » en citoyens « indignés », tandis que Katerina Kitidi, réalisatrice grecque du film Debtocracy, décrivait la puissante dynamique mais aussi les limites du « mouvements des places » qui a marqué la Grèce l’été dernier. Katrin Oddsdottir, membre de l’Assemblée constituante islandaise, a décrit comment l’insurrection citoyenne contre la dette des banques islandaises a abouti à l’écriture d’une nouvelle Constitution à travers une procédure démocratique inédite combinant tirage au sort et élection. Yves Sintomer , politiste, relevait la radicalité démocratique potentielle du tirage au sort des citoyens, et suggérait une Assemblée constituante européenne tirée au sort. Jean-Baptiste Eyraud (DAL) a expliqué qu’il faut maintenant passer, en France aussi, à l’offensive, notamment sur la question du logement, en lançant un mouvement de contestation du logement cher. Cécile Stratonovitch, des Indignés parisiens, a fait état des actions menées en France et annoncé de nouvelles initiatives, notamment autour du 15 mars, du 15 mai et des élections. Nicolas Haeringer, d’Attac, a montré comment les mouvements indignés prolongent et enrichissent le mouvement altermondialiste du tournant des années 2000, et Thomas Coutrot, d’Attac, a insisté sur le divorce aujourd’hui patent entre capitalisme et démocratie, au cœur d’une crise de civilisation.
Après l’intermède ludique du Tribunal populaire des banques, la dernière table-ronde, sous la houlette de Laurent Mauduit (de Médiapart), s’est interrogée sur les issues à la crise européenne. Max Bank, d’Attac Allemagne, a prôné la construction d’un agenda commun des mouvements sociaux contre l’austérité en Europe pour éviter les replis nationalistes, et proposé un grand rendez-vous européen le 15 mai à Francfort devant la BCE. Noël Daucé, de la FSU, a souhaité que le développement des mobilisations citoyennes en Europe pousse le mouvement syndical européen à plus d’initiatives et d’audace dans l’action. Pierre Khalfa, pour la Fondation Copernic, a prôné une stratégie de rupture européenne avec le néolibéralisme, par l’alliance des mouvements sociaux et citoyens et des initiatives de ruptures pouvant passer par le niveau national mais sans s’y arrêter ; Frédéric Lordon, lui, juge plutôt que l’opinion publique allemande étant irrémédiablement attachée à une croyance monétaire néolibérale, une issue démocratique européenne à l’actuelle crise est hautement improbable : pour lui, le niveau national demeure aujourd’hui le seul où la souveraineté populaire pourrait trouver à s’exercer. Philippe Corcuff a plaidé pour une stratégie « cosmopolitique » européenne et internationaliste, pariant sur la profondeur de la crise et des redéfinitions politiques et culturelles qu’elle va impliquer pour parvenir à hisser la politique démocratique au niveau international où elle est aujourd’hui requise.
Edwy Plenel, introduisant la conclusion de la journée en s’appuyant sur une phrase de Walter Benjamin, a estimé que les révolutions qu’on voit aujourd’hui émerger ne sont peut-être pas la « locomotive de l’histoire » mais « le geste de l’espèce humaine voyageant dans ce train pour saisir le signal d’alarme ». Susan George a souligné avec gravité la portée historique des enjeux et des dangers actuels, et appelait à une lutte sans merci contre le fanatisme religieux du marché. Stéphane Hessel, dans une intervention poignante, nous a exhortés à rejeter toute tentation de résignation et à faire preuve de courage face aux difficultés et aux luttes à venir. Jean-Marie Harribey concluait en rappelant les grands axes d’une politique alternative au néolibéralisme et en indiquant que pour Attac la démocratie est à la fois le but et le chemin.
Alors que les élites européennes s’affairent sur le nouveau traité, dit « Pacte fiscal », pour graver dans le marbre les politiques d’austérité, la riposte des mouvements sociaux doit être à la hauteur de l’enjeu. Les mouvements populaires français, européens et internationaux sauront construire leurs convergences et leurs agendas communs dans les mois à venir pour imposer un coup d’arrêt à l’austérité et commencer à reconstruire leur pouvoir sur les affaires publiques, le pouvoir de la démocratie. Le succès inespéré de cette conférence a montré que les attentes sont fortes.
Attac France,
Paris le 18 janvier 2012